Impôt mondial: pourquoi sa mise en oeuvre inquiète les entreprises

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Previously published in le Figaro

DÉCRYPTAGE – Contrairement à bon nombre de gouvernements, l’accord sur la réforme de la fiscalité internationale ne suscite pas l’enthousiasme débordant des
fiscalistes.

Si bon nombre de gouvernements se félicitent de l’accord «historique» scellé sur la réforme de la fiscalité internationale début juillet, après des années de négociations sous l’égide de l’OCDE, les experts fiscalistes se montrent, eux, bien moins enthousiastes… «Avec cette réforme, on se trouve dans une zone d’incertitude qui crée beaucoup d’inquiétude du côté des entreprises», constate Charles Ménard, avocat associé chez EY Société d’avocats et membre du Cercle des fiscalistes. «Il y a un monde entre les concepts actés dans cette réforme et son application concrète qui s’annonce extrêmement complexe», insiste de son côté Denis Andres, du cabinet Arsene.

Le texte, qui doit encore être précisé dans les détails d’ici à octobre, prévoit en particulier l’instauration d’un taux effectif d’imposition des bénéfices de 15 % minimum pour les grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est d’au moins 750 millions d’euros. Ce qui signifie, concrètement, qu’avec cette nouvelle règle, un groupe français (dont le siège est en France), qui détient une filiale dans un pays où l’imposition est plus faible que 15 %, comme en Irlande, sera davantage imposé. Car le fisc français taxera alors la différence entre le taux appliqué dans ce pays et celui de 15 %. Résultat : l’État français pourrait empocher environ 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires par an. Ces rentrées diminueraient ensuite progressivement à 2 milliards en raison d’un alignement des pays à faible imposition sur ce nouveau taux minimal, estimait récemment le Conseil d’analyse économique (CAE).

Il reste que « ce surcoût fiscal pour les entreprises demeure difficile à estimer, car on n’a pas le glossaire qui définit le taux effectif minimum de l’impôt sur les sociétés. En particulier, l’assiette fiscale imposable (le bénéfice taxable, NDLR) reste à définir dans les détails. Par exemple, quelles charges seront déductibles ? Quels seront les éléments inclus dans la notion d’impôt ?», s’interroge Mirouna Verban, avocate associée au cabinet Arsene. Ce qui ne manque pas de susciter de vives inquiétudes du côté des intéressées. « En réalité, la crainte première des entreprises n’est pas tant ce surcoût que l’extrême lourdeur administrative d’une nouvelle strate de réglementation internationale pour finalement un gain qui s’annonce assez faible pour les caisses de l’État français à terme », avertit l’experte fiscaliste.

Risque de double imposition

Car, une fois les règles déterminées, de nombreux casse-tête sont à prévoir. Par exemple, comment calculer les impôts dus pour les filiales qui ne sont pas détenues à 100 % par un même groupe ? Ou encore, comment rectifier le montant de l’impôt acquitté par un groupe en cas de redressement fiscal de sa filiale dans un pays à fiscalité avantageuse ? Autre sujet de préoccupation : la mise en oeuvre de ces nouvelles règles par les membres de l’OCDE. Vont-ils tous jouer le jeu ? « Le risque pour les entreprises françaises est qu’elles soient surtaxées par rapport à leurs concurrentes dans d’autres États. Certains pays risquent, en effet, d’appliquer de façon très restrictive ces nouvelles règles d’imposition minimum alors que la France comme l’Allemagne devraient jouer les bons élèves », avertit Emmanuel Dinh, associé au cabinet Couderc Dinh & Associés.

Quant à l’autre volet clé de la réforme, qui prévoit une nouvelle répartition de l’imposition pour les plus grandes multinationales (chiffre d’affaires de plus de 20 milliards avec une rentabilité supérieure à 10 %), il ne sera pas non plus indolore en France. Le principe acté, ici, est de taxer ces grands groupes dans le pays où ils ont une présence physique, mais aussi dans les États où ils ont une activité commerciale sans pour autant être présents physiquement. « L’idée initiale était de s’attaquer aux Gafa, mais les grosses multinationales vont finalement être visées. C’est donc une victoire pour les pays en développement comme la Chine où, par exemple, des grands groupes français réalisent la majorité de leur chiffre d’affaires », estime Emmanuel Dinh. Sur la centaine de multinationales visées, environ cinq groupes français devraient être concernés dont Air Liquide et LVMH.

Et, outre l’extrême lourdeur comptable que ces règles vont impliquer, « les craintes sont surtout portées sur le risque d’avoir une double imposition des multinationales visées », poursuit Miranda Verban. Dans un récent rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) – organisme associé à la Cour des comptes – avertit d’ailleurs sur le fait que les différends ne manqueront pas de naître concernant la répartition de l’impôt entre le pays du siège de l’entreprise et les pays de marché.

Pour régler ces conflits, les membres de l’OCDE veulent mettre en place une convention internationale qui remplacerait les traités fiscaux bilatéraux. Il reste à voir comment les pays vont s’accorder sur ce sujet très sensible de la fiscalité qui relève de la souveraineté nationale…

Par Manon Malhère
Publié le 25/07/2021 à 22:09, mis à jour le 25/07/2021 à 22:09

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